Antoine Kerhuel, père jésuite
La première lecture de ce dimanche dit toute la puissance qui émane des Apôtres, et de Pierre en particulier, au lendemain de la Résurrection de Jésus. La deuxième lecture rapporte la grandiose vision de Jean à Patmos. Un homme déclare à Jean : « j’étais mort, et me voilà vivant pour les siècles des siècles ; je détiens les clés de la mort et du séjour des morts ». Cependant, l’extrait de l’Evangile de Jean lu aujourd’hui ne parle ni de puissance, ni de grandiose vision. Il nous place devant notre difficulté à accueillir le Ressuscité. Voilà que, après la crucifixion, les apôtres s’enferment pour se protéger ; ils sont tous là – sauf Thomas – et Jésus se tient soudain au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous !» Lorsque, plus tard, les apôtres racontent ce qui leur est arrivé, Thomas est sceptique : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! » Une semaine plus tard, Jésus rejoint à nouveau ses disciples ; mais cette fois Thomas est présent. Jésus l’invite à approcher son doigt et sa main … et lui dit : « cesse d’être incrédule, sois croyant ». Thomas, alors, confesse sa foi et Jésus conclut – et nous avons l’impression qu’il s’adresse aussi à nous qui vivons deux mille ans plus tard : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
Dans l’Evangile de Jean, nombreux sont les appels à dépasser le « voir » pour accéder au « croire ». Lorsque Thomas reconnaît Jésus, il entend, de Jésus lui-même, cette invitation à ne pas faire du « voir » une condition du « croire ». Nous aussi, nous recevons cette invitation en ce temps de Pâques. Sans doute avons-nous tous un petit côté « Thomas » (ou un grand côté « Thomas »), mais, si nous y réfléchissons bien, notre expérience humaine ne nous enseigne-t-elle pas à aller, en certaines circonstances, au-delà du « voir » ? Dès lors que nous faisons confiance à quelqu’un, nous sommes déjà au-delà du « voir » ; pensons, sur ce point, à la confiance qu’un jeune enfant place en ses parents. Dès lors que nous aimons quelqu’un, nous sommes aussi au-delà du « voir » ; pensons, sur cet autre point, à la manière dont un homme et une femme acceptent de se lancer ensemble dans l’aventure du mariage : ils ne savent pas ce que l’avenir leur réserve, mais ils sont portés par leur désir de vivre ensemble cet avenir – quel qu’il soit. La confiance, l’amour, … ce sont là des expériences fondamentales par lesquelles nos personnalités se construisent, par lesquelles nos existences sont renouvelées, et ce sont pourtant des expériences qui échappent à notre désir de « voir » et, à travers le « voir », à notre désir de « posséder ».
Eprouver, dès aujourd’hui, la résurrection, c’est nous laisser saisir par la manière dont Jésus, le premier, s’est donné pleinement pour ceux qu’il aime. Dans les Evangiles, nous voyons combien Jésus était comme bloqué par tous ceux et celles qui ne le rejoignaient pas dans cette expérience de la confiance et de l’amour (pensons aux gens de Nazareth, qui connaissaient trop bien Jésus, depuis sa tendre enfance, pour accueillir son enseignement, ou encore pensons aux scribes et aux pharisiens qui, pour la plupart, se cachaient derrière leurs connaissances de la Loi et des Prophètes pour ne pas entendre l’enseignement de Jésus). Nous voyons aussi combien Jésus a aimé et a appelé à aimer ceux et celles qu’il rencontrait. Et nous voyons combien les apôtres, puis les témoins de l’Evangile au fil des siècles jusqu’à nous aujourd’hui, se sont laissés, malgré leurs faiblesses, mettre en mouvement par un tel amour. La résurrection a saisi la vie quotidienne de tous ces témoins, et bien avant leur mort physique !
Puisse-t-il en être ainsi pour nous aussi ! Puissions-nous être mis en mouvement, dès maintenant, alors que, à notre tour, nous croyons sans avoir vu !
(Vatican News)