Année 132 - Mai 2020En savoir plus
On écoute les Écritures avec le cœur
frère Antonio Ramina
Le Pape Grégoire IX, après avoir écouté saint Antoine qui prêchait, l’appela “arche du Testament” que l’on pourrait traduire dans une langue plus moderne “écrin des Saintes Écritures”. En général, pour commenter ces paroles du pape, on affirme que saint Antoine connaissait par cœur la Parole de Dieu et que pour lui, la prédication était une activité facile, naturelle, et qu’il puisait dans son immense mémoire des textes bibliques.
Peut-être que dans tout cela il y a quelque chose de vrai, mais les sources anciennes ajoutent un détail assez précieux: ce qui provoqua l’étonnement du pape ne fut pas tellement la mémoire prodigieuse et l’art rhétorique d’Antoine mais la profondeur de ses paroles. C’est la profondeur de sa prédication qui touche le cœur de ceux qui l’écoutent! Cela ne semble pas un détail très important mais en réalité, il s’agit d’un aspect fondamental et éclairant.
En effet, Antoine n’avait pas une relation “technique” avec la Parole de Dieu comme s’il s’était agi de l’utiliser pour bien accomplir sa tâche. Il avait créé progressivement une relation “avec son cœur” avec les Écritures. Quel en est le sens? D’abord qu’il ne connaissait pas seulement les messages importants du texte biblique mais qu’il reconnaissait surtout la voix de celui qui parle à travers sa parole. Il reconnaissait donc dans la Parole la présence de celui qui parle. Il entendait la Parole du Seigneur dans la Bible et donc il était très important pour lui de méditer sur le texte biblique avec humilité et fidélité en l’assimilant avec la passion d’un amant. Il avait saisi la possibilité de demeurer dans la Parole de Dieu comme dans un espace irremplaçable où prier.
Voici la raison de l’émerveillement de ceux qui l’écoutaient! En prêchant, saint Antoine ne transmettait pas simplement “des informations” mais il diffusait la saveur d’un rapport vital et d’amitié avec le Seigneur. La force de sa prédication résidait dans son grand désir de pousser ceux qui l’écoutaient à lire et à aimer les Écritures comme un trésor où se plonger pour savourer l’amour de Dieu: son visage de Père, la tendre amitié du Fils et la consolation de l’Esprit Saint.
Dans un sermon, saint Antoine écrit: «Les abeilles volent dans l’air presque pour s’exercer et puis elles reviennent à leur ruche et elles se nourrissent; de même les prédicateurs doivent d’abord s’exercer dans l’air de la contemplation avec le désir de la béatitude céleste pour pouvoir ensuite se nourrir et nourrir les autres avec le pain de la parole de Dieu» (XII après Pentecôte). L’image est symbolique mais elle est très efficace! S’approcher de la Parole de Dieu signifie alimenter un désir de joie et de béatitude.
La joie la plus grande naît de l’amitié avec Dieu. Ce n’est qu’après que l’on peut prêcher la Parole de Dieu. Cela concerne tous les chrétiens: lire la Parole de Dieu non seulement pour connaître des choses nouvelles mais avec le désir de créer un lien familial avec Dieu. Toutefois saint Antoine savait bien qu’accueillir profondément les Saintes Écritures n’était pas chose facile car elles remettent en discussion, elles déstabilisent nos schémas en provoquant une blessure: «La parole de Dieu brûle pour purifier la conscience du pécheur, pour purifier les cœurs comme la fournaise purifie l’or, elle enflamme d’amour pour Dieu et elle éclaire ceux qui l’écoutent» (XXIV après Pentecôte,1).
Le Saint nous met donc en garde en nous disant clairement que se nourrir de la Parole de Dieu et la lire avec foi est très prenant. Elle est certainement source de consolation, elle a la douceur du miel mais elle est aussi la “brûlure” d’une blessure salutaire. Peut-être peut-on dire qu’il en est toujours ainsi quand il s’agit de l’amour: nous vivons l’entrelacement mystérieux de la joie et de la souffrance, de la douceur et de l’amertume. Ce qui a de la valeur dans la vie a toujours le sceau de cette ambivalence.